Typhoon qatari : Londres vient-elle de signer l’arrêt de mort du programme Eurofighter ?


A Royal Air Force Eurofighter Typhoon FRG4 takes off at Osan Air Base, South Korea, Nov. 7, 2016. (U.S. Air Force photo/Senior Airman Victor J. Caputo)

À l’heure où le Qatar vient à peine de signer la lettre d’intention formalisant sa volonté d’acquérir 24 Typhoon auprès du consortium Eurofighter, qui tente le grand chelem dans le Golfe, après les succès saoudien (2007 – 72 unités), omanais (2012 – 12 unités) et koweïtien (2015 – 18 unités), ce serait être mauvais joueur que de gâcher la troisième mi-temps en appelant à la prudence et en rappelant que la cabane peut toujours tomber sur le chien,  tant que le contrat ne sera pas effectivement entré en vigueur (avec le versement du premier acompte).



            De même, il serait fort peu aimable de souligner que ce projet de vente ne semble répondre à aucune logique opérationnelle, puisqu’elle succède à l’achat de 36 F-15 en juin dernier, et de 24 Rafale en 2015. Ce qui pose, aux yeux d’un observateur taquin, de nombreuses questions :

  • Quelles sont, au juste, les ambitions diplomatico-militaires du Qatar ?
  • Quid de la capacité de ce petit pays à réussir une montée en puissance d’une telle            ampleur passant de 12 Mirage 2000-5 à 84 avions de combat plus modernes, et donc plus  complexes ?
  • Histoire de pousser le bouchon un peu plus loin : le Qatar peut-il tirer de sa population, et correctement former, assez de pilotes pour faire voler tous ces avions ? Ou bien le recours à des « prestataires externes » (pour verser dans la pudeur de gazelle) est-il privilégié ?
  • Les logisticiens qataris disposent-ils d’une bonne couverture santé, face aux multiples dépressions et migraines que ne manquera pas de causer le cauchemar logistique qui s’annonce ?

Un esprit plus conciliant pourra rétorquer que la stratégie qatarie pourrait s’inspirer de la politique d’importation d’armement indienne : multiplier les fournisseurs pour diminuer les risques politiques liés à cette dépendance (embargo, crises diplomatiques diverses, changement soudain de régime, etc). Seulement, la simple proximité stratégique et politique de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis suffit à balayer cet argument.
           
En tant que Français(e) de mauvaise foi, on l’aura donc aisément compris : la fièvre acheteuse qatarie répond non pas à une politique de développement efficient, raisonné et ambitieux de son outil militaire, mais à une vision très classique et répandue des contrats d’armements dans les pétromonarchies du Golfe : acheter, à coups de milliards d’euros, de livres ou de dollars, la protection et l’appui des puissances occidentales.  Un modus operandi qui, avouons-le, a fait les beaux jours de l’industrie tricolore de l’armement.

Cet appui et cette protection, le Qatar en a justement un besoin aigu, face à la véhémence de ses voisins du Golfe (et d’au-delà, comme l’Égypte), qui entendent l’isoler par tous moyens (boycott, fermetures des frontières), accusant le petit émirat de collusion avec l’ennemi iranien et les terroristes.  Le cochon est dans le maïs, pourrait-on dire.

Mais fort heureusement pour les esprits sensibles à la critique, nous ne nous attarderons pas sur ces points.  Ce qui nous intéresse ici, c’est le risque que ce contrat qatari fait peser sur l’avenir même du programme Typhoon, rien de moins.

Car Ryad, comme évoqué supra est un client majeur du Typhoon, et le partenaire privilégié de Londres dans le développement des capacités de l’appareil, en vue d’en faire un véritable avion de combat multi-rôle. En effet, les autres partenaires européens du consortium Eurofighter – Allemagne, Italie, et Espagne – ne cachent pas leur volonté de contribuer a minima au développement des standards les plus avancés de l’appareil, plus attachés à la « maîtrise de leurs comptes publics » qu’à la crédibilité de leurs forces aériennes. La tranche 3B n’a ainsi été commandée par aucun des partenaires initiaux, l’Allemagne allant jusqu’à réduire sa commande de 250 à 140 exemplaires ( !). De fait, le Royaume-Uni se doit de faire cavalier seul. Car ses ambitions aériennes sont celles d’un « pays qui fait la guerre », pressé par le futur retrait du service des Tornado vieillissants et souffrant de l’incertitude inhérente à l’équation à plusieurs inconnues (niveau Bac S spé’ maths, au moins) qu’est le F-35. Il lui faut donc tirer au plus vite le plein potentiel de ses Typhoon.

            Et c’est là que l’Arabie saoudite entre en scène : le royaume wahhabite aurait ainsi contribué au financement de plusieurs mises à niveau du Typhoon, telles que l’intégration de la nacelle Damoclès, ou encore aurait soutenu celle du missile de croisière Storm Shadow. Dans le même temps, et alors que la livraison des 72 Typhoon initiaux s’est achevée en juin dernier, Londres compte conclure un nouveau contrat avec Ryad – on parle ainsi de 48 exemplaires supplémentaires.

Or, l’Arabie saoudite pourrait-elle sérieusement continuer à investir dans un avion dont l’émirat tant honnis vient de commander 24 exemplaires au dernier standard ? Gageons que Ryad a peu goûté à l’ironie de la situation : financer sur ses propres deniers des upgrades qui bénéficieront directement au Qatar. L’ambassadeur du Royaume-Uni en Arabie saoudite doit encore en avoir les oreilles qui sifflent.


            Partant, on peut se demander si, dans son empressement à redonner un peu d’air à une ligne de production au bord de l’arrêt cardio-respiratoire, BAE Systems ne vient pas de se couper d’une source de financement vitale pour les futures mises à niveau du Typhoon, affectant ses capacités opérationnelles et donc sa crédibilité à l’export.



Mais ce ne serait pas très gentil, et antipatriotique, de gâcher autant de champagne.

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