De la licéité de l'offre de la France à la Belgique pour le remplacement de ses avions de combat



Un Mirage 5BD de la Force aérienne belge. Photographie d'Andrew Thomas.


Dans une tribune publiée le 5 décembre 2017 dans le quotidien belge Le Soir[1], Madame Florence Parly, ministre des Armées, défend la licéité de l’offre française, notamment en relevant fort justement que la procédure d’appel d’offres de la Belgique relative au remplacement de sa flotte de F-16 vieillissants n’engage en rien notre voisin d’outre-Quiévrain de contracter avec l’un des soumissionnaires à cette procédure, celui-ci se réservant en effet le droit de passer outre.

Cette clause figure à la page 13 du Request for Government Proposal portant sur le Air Combat Capability Program  dont il est ici question (on notera au passage que Bruxelles opte pour l’anglais américain dans ses documents officiels : lapsus révélateur d’un tropisme pro F-35 ?) : « The issuance of this RfGP is not to be construed in any way as a commitment by the Belgian Government to conclude an agreement or a contract ».

Madame Parly répondait ainsi directement à son homologue belge,  Monsieur Steven Vandeput, qui avait froidement accueilli la proposition française – soumise en marge de l’appel d’offres – en évoquant des risques de « poursuites juridiques » de la part des concurrents de l’offre française en cas d’acceptation de cette dernière, et jugeant nécessaire de « faire la clarté juridique sur l’état de la question »[2].

L’on peut citer l’exemple de Nexter[3], qui a demandé des comptes – et un dédommagement – à Ottawa après que le gouvernement canadien ait décidé d’annuler purement et simplement un appel d’offres pour 108 blindés de combat d’infanterie en décembre 2013. Un contrat qui était estimé à environ 2 milliards de dollars américains. Une saillie de l’industriel tricolore qui n’avait pas manqué d’être remarquée, de telles sorties étant rares dans ce milieu.

Néanmoins, il convient de relever que c’est peut-être justement pour se dédouaner d’un tel cas de figure que l’appel d’offres belge se fend d’une clause de non-responsabilité. En outre, au nom des intérêts supérieurs nationaux, le Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne admet dans son article 346 (1) (b) une dérogation au sacro-saint principe de la libre concurrence :

« Tout État membre peut prendre les mesures qu'il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d'armes, de munitions et de matériel de guerre; ces mesures ne doivent pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires. »


La décision 255/58 du Conseil du 15 avril 1958, institue une liste des produits auxquels les dispositions de cet article s’appliquent[4]. Fort logiquement, les « aéronefs et leurs équipements à usage militaire » y figurent.

Certes, la directive 2009/81/CE relative à la coordination des procédures de passation de marchés dans les domaines de la défense et de la sécurité (directive « MPDS »), entrée en vigueur le 21 août 2009 et aujourd’hui transposée dans les droits nationaux de tous les État-membres de l’Union entend encadrer cette disposition exorbitante du droit commun de l’UE en proposant un cadre règlementaire adapté à la passation des marchés publics liés aux équipements militaires et sensibles[5], afin d'éviter certains abus protectionnistes, pour autant la dérogation de l’article 346 du TFUE demeure, et à ce titre la Belgique serait fondée à l’invoquer pour justifier le choix du partenariat stratégique proposé par Paris.

En effet, la France ne propose pas seulement de vendre un avion de combat à la Belgique, mais tout un ensemble de partenariats structurant dans les domaines technologiques, industriels et opérationnels relevant pleinement des « intérêts essentiels de la sécurité [des deux États] et se rapportent à la production ou au commerce d’armes », au sens du droit européen. En outre, en s’inscrivant dans le cadre du développement de l’Europe de la défense (donnant enfin un peu de substance  à cette arlésienne), un tel projet ferait écho à la communication interprétative de l’article 346 du TFUE[6], par laquelle la commission européenne explique que « les intérêts de sécurité des États membres devraient également être envisagés dans une perspective européenne ».


Par conséquent, la licéité de l’offre française semble peu prêter le flanc au risque juridique, et les réticences de certains responsables politiques belges semblent plutôt s'expliquer par des considérations d'ordre politique, tant interne qu'externe. En effet, nul n'ignore la complexité du processus de décision belge, et la difficulté pour les multiples parties impliquées, fédérales comme régionales, de parvenir à un consensus. Plus que le droit, le principal obstacle à un Rafale arborant la cocarde belge est donc politique. Et ce, sans même évoquer tout le poids diplomatico-militaire d'une Amérique trumpienne qui redouble d'efforts pour exporter ses équipements, y compris au cœur de l'Europe, comme nous avons pu hélas le constater à plusieurs reprises ces dernières semaines.

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