Start-up de défense - ou de l'incongruité de chasser la Licorne au Canon de 120
Chantier de la Halle Freyssinet (Paris XIII), accélérateur de start-up © Patrick Tourneboeuf
« En
France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées. » Une célèbre maxime
nous renvoyant aux contrecoups de la crise pétrolière de 1973 que le Président
Macron nouvellement élu a remis au goût du jour par ses velléités de faire de
la France une Start-Up Nation aux
fins de séduire à nouveau les investisseurs et de renouer avec la croissance[1].
La Défense, l’un des derniers
piliers de l’excellence industrielle française, saura-t-elle – ou pourra-t-elle
– tirer parti de cette impulsion présidentielle ?
Il
convient avant tout de définir la start-up.
Le concept, relativement nébuleux, peut se traduire dans la langue de Molière
par « jeune pousse ». En substance, par start-up, il faut entendre une jeune société innovante à très fort
potentiel de croissance, qui justifie un financement par capitaux propres
palliant une trésorerie largement déficitaire jusqu’à l’arrivée à la maturité
de son business model. Par
conséquent, la naissance et l’impulsion nécessaire au développement initial
d’une start-up reposent largement sur des levées de fonds et autres
investissements (y compris par entrée au capital) d’investisseurs convaincus
par le potentiel de celle-ci : les business
angels.
La start-up représente ainsi un fort risque
pour les investisseurs, compensé par l’espoir d’un retour sur investissement
d’autant plus important. Ce potentiel qu’offre la start-up repose sur la conviction que l’introduction de sa solution
innovante permettra l’émergence d’un nouveau marché porteur d’importantes
perspectives de croissance (sur le modèle des grappes d’innovation
schumpétériennes), ou, à tout le moins, de gains de productivité et/ou de
qualité assez importants pour pénétrer – voire dominer – un marché préexistant.
Pour
illustrer la première logique, nous pouvons citer le français Blablacar, qui a
largement contribué à la naissance d’un nouveau marché du transport en
encadrant et en promouvant le principe bien établi du covoiturage, en
l’étendant à des inconnus via un
service en ligne sécurisé.
La seconde dimension trouve en SpaceX l’un de ses hérauts : la start-up d’Elon Musk a, en 15 ans à peine, réussi l’exploit de bousculer les acteurs traditionnels de la mise en orbite de satellites commerciaux. Un marché dont la haute technicité, ainsi que les considérables investissements de départ, constituent pourtant des barrières à l’entrée quasiment infranchissables. A fortiori pour une entreprise purement privée, ne bénéficiant pas de l’appui (du moins direct) d’un État. SpaceX investit même aujourd’hui le marché militaire, avec le lancement, le 1er mai 2017, de la mission NROL-76 pour le compte du National Reconnaissance Office américain.
Par
conséquent, les armées, pour lesquelles
l’innovation technologique constitue l’un des moteurs pour gagner – ou
conserver – l’avantage militaire, n’ont-elles pas tout intérêt à capter un peu
de cet « esprit start-up »
afin de favoriser l’émergence de solutions opérationnelles novatrices ?
Bref,
est-il possible de « disrupter » l’industrie de défense ? La start-up, telle que classiquement conçue
et gérée, est-elle le modèle optimal pour favoriser et stimuler l’émergence des
ruptures technologiques de la Défense de demain ?
L’économie de la défense : un terrain
particulièrement hostile aux jeunes pousses
Le principal obstacle à l’émergence
de start-up de Défense réside dans le
manque certain d’attractivité de ce secteur pour les investisseurs
traditionnels : banques, fonds privés, voire fonds souverains.
En effet, la Défense constitue un
secteur de structure oligopolistique par essence, qui ne favorise pas l’accès à
de nouveaux acteurs. Au contraire même, ce marché connaît depuis quelques
années une importante vague de consolidations que ce soit outre-Atlantique ou
en Europe. Pour ne citer que les illustrations les plus récentes : annonce
du rachat de Rockwell-Collins par United Technologies au début du mois de
septembre[2] 2017, et celle de
l’acquisition d’Orbital ATK par Northrop Grumman à la mi-septembre[3]. Pour ce qui est du Vieux
Continent, animé par un nouveau souffle en faveur de l’Europe de la Défense :
mariage entre le français Nexter et l’allemand KMW[4], réflexions sur un
rapprochement finalement « à long terme » des activités liées aux
bâtiments de surface du français Naval Group et de l’italien Fincantieri[5].
De
surcroît, le marché mondial de l’armement reste, paradoxalement, assez
confidentiel : il pesait en 2015 environ 80 Mds d’euros de prises de
commandes, dominé pour moitié par les États-Unis
d’Amérique, selon une étude menée par le Congressional
Research Service[6].
Un montant relativement restreint à mettre en perspective avec d’autres
secteurs qui, eux, aiguisent les appétits des investisseurs : appliqué au
transport routier, le modèle de Uber pourrait capter un marché de quelques 700
Mds de dollars rien qu’aux États-Unis[7].
Or, ce marché de la Défense est en proie à une concurrence croissante de la
part de nouveaux industriels, fermement soutenus par leurs gouvernements
respectifs en quête d’indépendance stratégique : Turquie, Chine, Corée du
Sud, Japon…
En outre, il convient de rappeler
que, philosophiquement, un matériel de guerre a vocation, si ce n’est à être
détruit (munitions), à être exposé à de forts risques de l’être du fait de son
utilisation normale. Dès lors, la nature
intrinsèque d’un armement ne peut que susciter la méfiance des investisseurs
privés. Une méfiance renforcée par le principe juridique d’insaisissabilité des
armements, qui relèvent par leur essence de la souveraineté des États et sont
donc insusceptibles d’être saisis en vue de recouvrer une dette non-honorée[8]. Parallèlement, des considérations relevant de
l’éthique ou de questions d’image peuvent
freiner voire dissuader des investisseurs à contribuer à une activité
qui consiste, rappelons-le, à donner aux militaires les moyens de faire la
guerre. Le fonds souverain norvégien – le plus grand du monde avec 1 000 Mds de
dollars d’actifs en septembre 2017 – s’est à cet effet doté d’un comité
d’éthique en 2004[9],
bannissant de son portefeuille des industriels de l’armement tels que Boeing ou
Airbus Group. Enfin, un environnement
règlementaire lourd et incertain lié aux législations sur le contrôle des
exportations achève d’éloigner les business
angels potentiels du fait d’un fort aléa politico-juridique que des
perspectives de retour sur investissement médiocres ne suffisent pas à
contrebalancer.
Partant,
il s’avère utopique d’espérer que l’industrie de Défense puisse, spontanément,
donner naissance à une « licorne » (start-up valorisée à plus d’un milliard de dollars). Pour autant, le monde de la Défense aurait
tout intérêt à s’en inspirer, afin d’explorer des modes alternatifs de gestion
de l’innovation adaptés aux contraintes inhérentes à ce secteur. Dans cette
optique, tant les pouvoirs publics que les industriels multiplient les
initiatives afin de capter cet « esprit start-up » à leur profit.
Ces dispositifs font l'objet d'un autre billet de blog, consultable ici : http://dutungstenedanslatete.blogspot.fr/2017/10/start-up-de-defense-ou-de-lincongruite.html
[1] AGENCE FRANCE PRESSE, « Cessions de
participations publiques : les grandes manœuvres ont commencé », Le Point, 05/09/2017. [En ligne]
[Consulté le 19/10/2017] Consultable en ligne via : http://www.lepoint.fr/economie/cession-de-participations-de-l-etat-le-mouvement-est-lance-05-09-2017-2154813_28.php
[2] BENOIT David, MATTIOLI Dana et GRYTA Thomas,
« United Technologies to Buy Rockwell Collins for $23 billion», The Wall Street Journal, 04/09/2017. [En
ligne] [Consulté le 19/10/2017] Consultable en ligne via https://www.wsj.com/articles/united-technologies-to-buy-rockwell-collins-for-23-billion-1504565107
[3] DE LA MERCED Michael J., « Northrop
Grumman to Buy Orbital ATK for $7.8 Billion », The New York Times, 18/09/2017. [En ligne] [Consulté le 19/10/2017]
Consultable en ligne via : https://www.nytimes.com/2017/09/18/business/dealbook/northrop-grumman-orbital-atk.html
[4] LAMIGEON Vincent, « Comment KNDS veut
devenir l’Airbus des blindés », Challenges,
21/09/2017. [En ligne] [Consulté le 19/10/2017] Consultable en ligne via : https://www.challenges.fr/entreprise/defense/comment-knds-alliance-de-nexter-et-de-kmw-veut-devenir-l-airbus-des-blindes_500932
[5] CABIROL Michel, « Naval
Group/Fincantieri, ‘un projet de long terme’ selon Bruno Le Maire », La Tribune, 21/09/2017. [En ligne]
[Consulté le 19/10/2017] Consultable en ligne via : http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/naval-group-fincantieri-un-projet-de-long-terme-selon-bruno-le-maire-751282.html
[6] THEOHARY Catherine A., « Conventional
Arms Transfers to Developing Nations 2008-2015», Congressional Research Service, p. 2, 19/12/2016.
[7] McNALLY Sean, « ATA Releases latest
Edition of American Trucking Trends »,
American Trucking Associations,
04/08/2016. [En ligne] [Consulté le 19/10/2017] Consultable en ligne via : http://www.trucking.org/article/ATA-Releases-2016-Edition-of-American-Trucking-Trends
[9] DAMGÉ Mathilde, « Le fonds souverain
norvégien vers une gestion éthique plus réactive », Le Monde, 13/11/2015. [En ligne] [Consulté le 19/10/2017] Consultable
en ligne via : http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/11/12/le-fonds-souverain-norvegien-vers-une-gestion-ethique-plus-reactive_3512139_3234.html
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