Falcon 5X, Canada et Rafale : un coup de billard à trois bandes de Dassault ?
F/A-18 accidenté - San Diego Air & Space Museum Archives
C’était
inévitable, les premiers effets du bras de fer initié par Boeing contre
Bombardier[1]
commencent à se faire sentir. Et, pour l’heure, force est de constater que
Boeing essuie deux revers successifs. Or, le timing de ces deux camouflets suggère fortement une tentative de
faire pression sur l’administration Trump pour la dissuader de persister dans
son obsession protectionniste. En effet, les deux parties au litige doivent se
présenter lundi prochain devant l’International
Trade Commission américaine qui statuera sur la mise en place éventuelle de
tarifs douaniers de près de 300% sur l’achat de 75 CSeries par Delta.
D’une
part, la compagnie aérienne Delta a
annoncé une commande de 100 A321neo (assortie d’une option pour une centaine
supplémentaire) à Airbus avoisinant les 13 milliards de dollars[2]. Si la
famille A320 est, intrinsèquement, excellente et a ainsi pu permettre à Airbus
de dominer le segment des monocouloirs face à Boeing et son 737 Max, il est
plus que probable que la manœuvre de Boeing a achevé de jeter la deuxième
compagnie américaine dans les bras d’Airbus.
D’autre
part, le 13 décembre, Ottawa a officialisé
sa décision de se passer des F-18 de Boeing (un contrat évalué à 5 milliards de
dollars) pour prolonger la durée de vie de sa flotte de combat actuelle le
temps de lancer un appel d’offre (d’ici 2019, pour une commande en 2022 si tout
se déroule comme prévu) pour 88 nouveaux chasseurs[3], lui
préférant des appareils du même type, mais de seconde-main, proposés par
Canberra. Madame Carla Qualtrough, ministre canadienne des Services publics,
est même allée jusqu’à préciser que ledit cahier des charges stipulera que le
candidat retenu ne devra pas avoir causé de « tort économique » au Canada. Considérant les conséquences
délétères potentielles des droits de douane demandés par Boeing à toute
exportation de Bombardier vers les Etats-Unis, ayant justifié la prise de
contrôle de l’activité aéronautique du groupe canadien par Airbus afin de le
sauver d’une faillite quasi-certaine, il apparaît assez limpidement que les
chances de Boeing au Canada pour ce contrat sont nulles, ou presque. Et quant
on connaît la position du gouvernement de Monsieur Trudeau sur le F-35 (jugé
trop cher et pas encore techniquement mature[4], ce qui
a d’ailleurs motivé l’annulation d’une commande de cet appareil par Ottawa), et
l’impossibilité évidente de se fournir en Chine ou en Russie, la liste des
prétendants crédibles se réduit à une peau de chagrin : Le Typhoon, le
Gripen et… le Rafale.
Or,
concernant ce dernier appareil, il semblerait que Dassault Aviation projette de
tirer partie de l’erreur de Boeing pour séduire le Canada, un marché que l’avionneur
français lorgne depuis longtemps[5]. C’est
du moins ce qui transparaît en lisant entre les lignes le communiqué de presse
publié par Dassault Aviation le 13 décembre. L’avionneur y annonce son
intention d’abandonner le développement du Falcon 5X du fait des multiples
difficultés techniques, surcoûts et retards rencontrés par son partenaire
Safran dans le développement du moteur Silvercrest. Et sa décision, en
parallèle, de démarrer un nouveau projet reprenant les caractéristiques de cet
avion avec le motoriste… Pratt & Whitney Canada, qui est déjà partenaire de
Dassault sur d’autres programmes civils. Considérant l’extrême sensibilité du
Canada quant à la question de la préservation de son industrie nationale, cette
décision a le double avantage de donner des gages industriels au Canada d’une
part, et de tirer les conséquences de l’échec malheureux du Silvercrest en remotorisant,
à moindres frais, un vrai-faux Falcon 5X tout en soldant le passé. Audacieuse s’il
en est, la manœuvre semble néanmoins nécessaire pour que Dassault puisse peser
face à Airbus – l’un des partenaires du programme Eurofighter – qui bénéficie à
plein de son statut de sauveur de Bombardier. Ajoutons que la proximité
affichée par Ottawa et Londres (Bombardier ayant des activités aéronautiques en
Ulster) pourrait elle-aussi bénéficier à l’Eurofighter Typhoon. De même que les
annonces récentes de Berlin en faveur d’une version évoluée du Typhoon pour
remplacer ses Tornado vieillissants, si elles venaient à se concrétiser[6].
Safran
perd ainsi le principal client de son projet de moteur pour avion d’affaires,
dont le futur s’assombrit nettement. Cet échec pose aussi le problème du
maintien des compétences de la filière française, et de son impact éventuel sur
les futurs réacteurs militaires[7]. Face à
cette perte de crédibilité, et d’argent, la perspective de vendre près de 200
réacteurs M-88 au Canada en cas de succès du Rafale apparaît ainsi comme un bien maigre lot de
consolation.
[1] Et dont
il est justement question ici : http://dutungstenedanslatete.blogspot.fr/2017/09/breve-boeingbombardier-nouvelle.html
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