AG600 : le porte-étendard des ambitions aéromaritimes chinoises
Au premier plan, le Kunlong, hors de son élément naturel : les eaux territoriales vietnamiennes (crédit : Alert5)
Dimanche 24 décembre 2017, alors que le monde occidental se
réunissait autour d’une dinde, l’Empire du Milieu, lui, célébrait un volatile
d’une ampleur toute autre. Se tenait en effet le vol inaugural de l’AVIC AG600
(nom de code Kunlong), aussi dénommé TA-600, hydravion quadrimoteur gargantuesque
de plus de 38 mètres d’envergure, pour un poids maximal au décollage de plus de
53 tonnes et une capacité de transport de 50 passagers. Des mensurations
comparables à un moyen-courrier Boeing 737. Sauf que petite nuance, le Kunlong,
lui, flotte. Et plutôt bien d’ailleurs : selon les tests à l’échelle 1/10e,
il pourrait ainsi affronter des creux de deux mètres[1]. L’AG600
a pour principal concurrent le ShinMaywa US-2 nippon, d’une taille néanmoins
nettement inférieure.
L’AG600 est prioritairement dédié à des missions de lutte
contre les incendies (il peut emporter jusqu’à12 tonnes d’eau) ou de search & rescue (SAR) en haute mer.
Son endurance de 12 heures, ainsi que son rayon d’action de quelque 5 000
kilomètres constituent à ce titre des atouts indéniables. Il a ainsi déjà été
commandé à 17 exemplaires par des sociétés et des institutions chinoises. Et il
est aisé d’imaginer qu’un tel appareil pourrait trouver un marché civil substantiel
à l’export, notamment en zone Asie-Pacifique où les archipels et autres îles
isolées ne manquent pas (l’Indonésie vient immédiatement à l’esprit, tandis que
la Malaisie et la Nouvelle Zélande auraient d’ores et déjà fait connaître leur
intérêt pout l’appareil[2]). Le
tourisme pourrait également constituer un débouché intéressant pour un tel
aéronef, dont l’allonge permettrait de rallier quelque île paradisiaque
directement depuis le continent.
Néanmoins, ce qui nous intéressera en l'espèce, ce sont les
applications militaires qu’un tel hydravion pourrait offrir. Car il n’aura
échappé à personne que la Chine entretient des contentieux territoriaux avec
nombre de ses voisins (si ce n’est tous), et que l’AG600, de par ses qualités
intrinsèques, pourrait constituer un atout de poids dans la manche de Pékin. D’ailleurs,
la Chine ne cache en rien le potentiel militaire de son hydravion :
l’organe de presse étatique Global Times[3] prend
ainsi soin de préciser que l’appareil est en mesure d’atteindre « n’importe quel point en mer de Chine
méridionale ». Et la
publication d’ajouter, citant un expert, que « l’AG600 pourrait rejoindre en l’état les forces armées chinoises ».
Pour la logistique, tout d’abord, permettant de ravitailler
rapidement les multiples îlots artificiels militarisés mis en place par la
République populaire de Chine afin de tenter d’asseoir ses revendications
territoriales. Voire en permettant le déploiement rapide d’hommes. Tout ceci
sans nécessiter de piste « en dur »
vulnérables et coûteuses.
Et, sans même verser dans un usage purement militaire, les garde-côtes
chinois bénéficieraient grandement de l’AG600 pour mener des missions relevant
de l’action de l’État en mer dépassant le cadre du SAR : aide aux populations
sinistrées, lutte contre la pollution, la piraterie, et la contrebande (sauf
vers la Corée du Nord, bien évidemment), etc.
À ce titre, la France n’aurait-elle pas, elle aussi, un
intérêt à explorer l’option de l’hydravion pour pallier, en partie, les
carences dans la surveillance de sa ZEE (la deuxième au monde en surface,
rappelons-le) ? Sans pour autant investir dans un aéronef d’une telle
ampleur, l’hydravion permettrait de renforcer la présence et la surveillance de
la France dans ses territoires ultramarins, offrant en sus une capacité, certes modeste mais appréciable, de mener des opérations d’évacuation sanitaire à
relativement longue distance dans les zones sinistrées par des catastrophes
naturelles et ne disposant pas ou plus d’infrastructures nécessaires aux avions
non-amphibies. Et, pour faire d’une pierre, deux coups, une telle flotte
pourrait également compléter les Canadair vieillissants et insuffisants dans la
lutte contre les incendies qui frappent chaque été la métropole.
Néanmoins, pour en revenir à un usage purement militaire, l’on
pourrait également se prendre à imaginer de potentiels futurs développements
pour un tel appareil. En effet, cette plate-forme pourrait donner lieu à diverses
variantes destinées à soutenir les opérations amphibies chinoises : guerre
électronique et renseignement, lutte anti sous-marine (et pourquoi pas anti-navire), opérations spéciales avec le déploiement de commandos chinois, voire,
si l’appareil le permet, une version gunship
destinée à l’appui-feu. Si la marine et l’armée de l’air chinoises ne manquent
pas d’avions dédiés à ces missions (avec les différentes versions du Y-8
notamment), et que par conséquent de tels projets pourraient, a priori, s’avérer redondants, le
caractère amphibie du Kunlong apporte toutefois des perspectives intéressantes
en permettant par exemple son déploiement via des
bases de dimensions plus modestes et idéalement positionnées, comme les îlots
militarisés suscités. Ce qui permettrait
de défier la domination aéronavale américaine en multipliant les points d’appuis
avancés, et donc les menaces.
Si ces hypothèses ne sont, pour l’heure, que pures
conjectures – surtout quant à un aéronef qui n’est pour l’heure pas encore
entré en service – il semble néanmoins important de garder un œil sur celui-ci.
La place qu’il pourrait trouver au sein des forces armées chinoises offrirait
de précieux indices sur les ambitions et stratégies maritimes chinoises. Et pas
seulement en mer de Chine méridionale : grâce à ses bases au Pakistan, la
RPC joue également un rôle dans l’océan indien. Enfin, d'un point de vue industriel, l'AG600 aura déjà permis à la Chine de consolider ses savoir-faire en matière de construction aéronautique. Une expérience qui ne manquera pas, à l'évidence, d'être valorisée.
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