Les motoristes aéronautiques larguent du lest



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Le 17 janvier 2018, sous la pression d’investisseurs activistes (rien à voir avec des zadistes, ceux-là préférant largement la rentabilité au djembé) Rolls-Royce annonçait son intention de se séparer de ses activités marines pour se recentrer sur ses divisions aéronautique et défense[1]. En parallèle, General Electric, le conglomérat américain déchu, envisage un démantèlement en bonne et due forme afin de se concentrer sur ses trois activités principales : l’aéronautique, l’énergie et la santé[2]. United Technologies, l’autre grand conglomérat qui entend s’offrir Rockwell-Collins pour 30 milliards de dollars[3], pourrait également céder certaines de ses activités hors aéronautique et défense[4]. Dernier exemple : Safran a fait le choix de céder plusieurs de ses filiales, notamment dans le domaine de la sécurité (Morpho Detection, en avril 2016[5],  Safran Identity & Security en septembre 2016[6]), avant d’avaler Zodiac Aerospace (une opération normalement en passe de se terminer[7]).

Pour expliquer plusieurs de ces opérations de recentrage industriel, l’objectif de redresser une rentabilité en berne est la principale raison invoquée – voire exigée par les actionnaires. Pour autant, ne relever que cet argument financier (court-termiste ?) pour décrypter ces mouvements convergents serait une erreur. Car ce faisant, se trouveraient occultées d’autres ambitions et justifications découlant de véritables enjeux industriels pour ces acteurs. Se dessinent en effet, sinon des stratégies, au moins des tendances de fonds auxquels font face l’ensemble des grands motoristes aéronautiques occidentaux.

Comme évoqué dans le premier billet de ce blog, les sous-traitants de premier rang sont les principales cibles d'un duopole d’avionneurs (Airbus et Boeing) en quête de nouveaux relais de rentabilité (maintenance, internalisation de la production de certains composants, etc).  Partant, ce double mouvement de recentrage et de consolidation pourrait leur permettre de se dégager des marges de manœuvres financières afin de mieux leur résister. D’une part, en récupérant du cash (se comptant en centaines de millions voire en milliards de dollars/euros), et d’autre part en se séparant de leurs divisions les moins rentables – voire déficitaires – qui pèsent sur leurs résultats, et donc leurs capacités d’autofinancement. Cet argent frais leur permettrait alors d’investir dans leur outil de production et de gagner en compétitivité, afin non seulement de satisfaire leurs grands donneurs d’ordres actuellement en pleine montée de cadences, mais surtout de creuser leur avantage compétitif pour mieux les dissuader de leur tailler des croupières, dans l’espoir que le calcul coût/bénéfice de l’internalisation leur soit favorable.

De surcroît, en accroissant leurs capacités d’investissement, les grands sous-traitants aéronautiques – et les motoristes en particulier – pourront se positionner sur les nouveaux chantiers structurants de l’aéronautique, tant civile que militaire. Ce de manière endogène, en investissant davantage dans leur propre R&D, comme de manière exogène, en acquérant des pépites technologiques. Qu’il s’agisse de la maintenance prédictive qu’Airbus, en partenariat avec l’américain Palantir, entend bien dominer grâce à Skywise[8], ou la propulsion hybride[9][10], il est vital pour ces groupes aéronautiques de ne pas se laisser distancer sur ces terrains technologiques, sous peine de se couper des futurs grands programmes d’avions civils ou militaires.

Toutefois, avant de préparer le futur, ces groupes se doivent également d’entretenir – si ce n’est de retrouver – leurs compétences. En effet, que ce soit Safran et son Silvercrest[11] ou Pratt & Whitney et son PW1100[12], des problèmes techniques plus ou moins graves affectent non seulement les résultats de ces motoristes, mais aussi – et c’est peut-être le plus grave – leur réputation et leur crédibilité. Or, un recentrage sur leur cœur de métier, en générant des capacités d’investissement, pourrait les aider à mener à bien la refonte de leurs processus industriels – de la conception à l’industrialisation – pour solutionner ces problèmes de qualité.

Cependant, afin de pouvoir bénéficier pleinement de ce recentrage, les motoristes devront résister aux pressions croissantes de leurs actionnaires les plus myopes. Pour avoir du sens, ces cessions doivent être réalisées au service d’une stratégie industrielle et technologique. Leur produit ne saurait être simplement reversé sous forme de dividendes.  Auquel cas, il ne s’agira alors que d’une vente à la découpe, spectacle triste et absurde.   

Un tel avertissement peut paraître évident, sonner creux, mais l’histoire démontre, hélas, sa nécessité.


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