French Military Sales : Mirage ou Miracle ?
Monsieur Jean-Yves Le Drian, le 16 février 2015, célébrant le premier contrat export du Rafale en Égypte - AFP
De
manière relativement régulière, se pose en France la question reprendre le
dispositif américain des Foreign Military
Sales afin de stimuler les exportations d’armements hexagonales. En octobre
2013, d’ailleurs, Monsieur Le Drian, alors ministre de la Défense sous le
précédent quinquennat, annonçait que la France allait s’inspirer de l’exemple
américain[1], arguant
notamment de la nécessité de proposer aux clients potentiels un cadre juridique
sécurisé. Depuis lors, il semblerait que cette annonce n’ait pas donné suite.
Il
convient néanmoins, en préambule de définir ces termes. En matière d’exportation d’équipements de
défense, deux voies existent : BtoG (de l’industriel ou gouvernement) ou
GtoG (de gouvernement à gouvernement). Cette seconde voie étant privilégiées
pour les contrats les plus stratégiques, les États clients exigeant des
garanties politiques fortes avant de s’engager sur des décennies.
Le
programme Foreign Military Sales, dont le Pentagone a la
charge via la Defense Security Cooperation Agency (DSCA), a ainsi pour vocation
d’offrir un cadre formel aux alliés des États-Unis qui souhaitent contracter
directement avec Washington pour doter leurs armées d’équipements made in USA. La liste des pays jugés
dignes d’y recourir est quant à elle gérée par le Département d’État, et les
exportations sont avalisées (ou non), a
priori, par le Congrès des États-Unis[2].
Il
convient donc de distinguer ce dispositif d’exportation (à titre onéreux)
d’État à État de la procédure Foreign
Military Financing, au titre de
laquelle Washington accorde une aide financière à ses alliés (notamment Israël
et l’Égypte) pour payer ces contrats d’armements, le plus souvent conclus dans le cadre de ces FMS.
Enfin,
l’achat de matériels militaires directement auprès des industriels américains
reste bien évidemment possible, à travers les Direct Commercial Contracts.
Il
convient en outre de souligner que, dans le cadre des FMS, les termes du
contrat, dont bien évidemment le prix, sont directement négociés avec les
industriels par les Etats-Unis, pour le compte de l’État client qui ne dispose
ainsi d’aucun levier pour réduire la facture[3] (comme
la Suède en fait actuellement l’amère expérience[4]).
Grâce
aux FMS, les États-Unis peuvent ainsi contribuer directement à leur stratégie
de sécurité en permettant l’équipement de leurs alliés selon leurs standards,
assurant ainsi un haut niveau d’interopérabilité (mais également une dépendance
stratégique loin d’être anodine), tout en abaissant le prix de leurs propres
équipements par l’effet mécanique des économies d’échelle. Les industriels
américains bénéficient quant à eux d’un relai politique extrêmement fort, leur permettant de truster la première place
du classement des exportateurs de défense. Les États clients, enfin, jouissent
d’une grande stabilité juridique et politique (pouvoirs exécutif et législatif
américains donnant conjointement leur feu vert) et de fortes garanties
industrielles (du moins en théorie), ainsi que de l’expertise du Secrétariat
américain à la Défense en matière de conduite des programmes d’armement.
Si,
de prime abord, il semblerait que la France aurait tout intérêt à s’inspirer de
ce dispositif, en réalité plusieurs éléments viennent sérieusement limiter
l’attrait d’un « FMS à la française ».
En
premier lieu, et ce n’est pas faire insulte à la mémoire du Général de Gaulle
que de l’admettre, la France dispose d’une influence politique bien moindre que
celle des États- Unis. À ce titre, le rapport prix-performance des équipements
français demeure une donnée essentielle dans les négociations avec les clients
potentiels, qu’aucun « parapluie
stratégique » français ne parviendrait à reléguer au second plan. Il
semble donc illusoire de vouloir imposer notre prix à nos clients.
EDIT : En outre, rappelons qu'un accord inter-gouvernemental engage... les gouvernements. La bonne exécution du contrat relève donc de la responsabilité juridique et financière de l'État vendeur. En découlent de nécessaires provisions sur le budget de l'État. Or, les marges de manoeuvres budgétaires de l'État français sont structurellement faibles (il suffit de voir l'émoi dans lequel la recapitalisation d'Areva a mis Bercy), limitant d'autant la portée d'un tel dispositif pour notre pays.
EDIT : En outre, rappelons qu'un accord inter-gouvernemental engage... les gouvernements. La bonne exécution du contrat relève donc de la responsabilité juridique et financière de l'État vendeur. En découlent de nécessaires provisions sur le budget de l'État. Or, les marges de manoeuvres budgétaires de l'État français sont structurellement faibles (il suffit de voir l'émoi dans lequel la recapitalisation d'Areva a mis Bercy), limitant d'autant la portée d'un tel dispositif pour notre pays.
Ensuite,
un tel dispositif, repris en l’état, offrirait un intérêt sérieusement limité
pour tout un pan de l’offre française, proposée uniquement à l’exportation.
Citons notamment les sous-marins conventionnels (Scorpène, Barracuda Shortfin)
ou les corvettes Gowind qui sont absents de la flotte de la Marine nationale. Certes,
cela n’empêche pas de vendre ces matériels dans le cadre de partenariats
stratégiques GtG (comme en Inde ou en Australie), néanmoins l’intérêt, et donc
l’attrait du modèle d’un « FMS à la
française » s’en trouve réduit : les clients ne pouvant être rassurés
par la perspective d’acquérir des équipements utilisés par les armées
françaises, la France se doit de faire d’autres concessions pour les séduire.
Enfin, adopter tel quel le modèle américain exigerait de refonder complètement le système
de contrôle des exportations de défense français, aujourd’hui entièrement géré
par l’exécutif, à travers la Commission
interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre
(CIEEMG) qui se réunit sous l’égide du Secrétariat général de la Défense et de
la Sécurité nationale (SGDSN). Pour coller à l’esprit du dispositif américain,
il conviendrait ainsi d’introduire un contrôle législatif des exportations
françaises. En effet, à ce jour, le Parlement français ne fait l’objet que
d’une information annuelle, a posteriori,
quant à l’exportation de ces matériels[5]. Or, l’une
des forces des FMS réside dans le consensus politique américain, les
exportations étant validées par les pouvoirs législatif et exécutif, permettant
d’offrir aux clients un haut niveau d’engagement politique. S’il est
tout-à-fait possible de réformer le dispositif de contrôle français en ce sens,
il est nécessaire néanmoins de souligner que cela reviendrait à alourdir un processus
déjà complexe. En outre, partager avec le Parlement une mission qui, sous la
Vème République, a toujours été une prérogative de l’exécutif, ne manquerait
pas de poser des questions, voire des difficultés.
C’est
pourquoi l’approche développée par le précédent quinquennat, et semble-t-il
perpétuée par l’actuel gouvernement, se fonde en premier lieu sur la coordination
entre les différents acteurs (contribuant au succès que l’on sait, avec
d’excellents crus en 2015 et 2016). Qu’ils soient industriels (avec notamment
le recours généralisé aux Groupements d’intérêts économiques pour réunir les
partenaires industriels) ou étatiques (avec la recherche d’une synergie
interministérielle entre les multiples services intervenants sur ces
questions : MinARM, MEAE, Bercy, bpifrance (pour les garanties
financières), présidence de la République, etc.).
Cette stratégie commerciale intégrée, bien entendu, ne peut porter que sur les
prospects les plus importants, les plus structurants. L’État n’a en effet pas
les moyens humains de généraliser son soutien aux exportations à l’ensemble des
contrats, et se doit ainsi de choisir ses batailles. Or, PME et ETI ont elles aussi besoin du
soutien de l’État dans leur prospections commerciales. Et c’est d’autant plus
vrai en France, où leurs difficultés, pas seulement dans le secteur de la
défense, sont bien identifiées[6].
Par
conséquent, tout en saluant les nets progrès réalisés, il semblerait que ce
système puisse être davantage formalisé et optimisé, afin de ne point délaisser
le tissu des entreprises plus modestes en se concentrant sur les grands
programmes. Cela permettrait également d’éviter certaines pommes de discorde
(comme les freins récemment opposés par Bercy dans les négociations pour
l’achat de Rafale supplémentaires[7]). Ainsi,
pourquoi ne pas créer une Commission interministérielle pour le soutien aux
exportations de matériels de guerre, en miroir de la CIEEMG ? À charge
alors pour cette « CISEMG », associant les industriels, de coordonner
l’action de l’État en la matière, fixant un cap et l’imposant aux différents
ministères, prévenant les doublons voire les conflits dans l’action des
différents services.
Parallèlement,
un peu à la manière des FSM et de leur « total package », la méthode
française consiste à proposer à ses clients un partenariat stratégique de long
terme, intégrant fourniture des matériels, formation et entraînement des
personnels, transferts de technologies
et productions, exercices conjoints, etc.
D’où l’idée de proposer une trame, un modèle de document pour unifier et
simplifier la pratique française du partenariat stratégique. Or, chaque partenaire
disposant de ses priorités, contraintes et ambitions propres, l’idée de
proposer un cadre juridique unique trouve vite ses limites. Bien que plus
complexe à mettre en œuvre, le « sur-mesure »
semble ici plus pertinent, et permet également d’attester de l’engagement français
à répondre au plus près aux besoins de ses alliés.
Partant,
si la France se doit de consolider sa
politique de soutien aux exportations de défense, l’exemple américain constitue
un modèle hors de portée, pensé et exécuté par et pour ce qui reste la plus
grande puissance militaire du monde. Ainsi, plutôt que se référer à un cadre
qui ne nous convient pas, tâchons plutôt de faire preuve d’imagination et d’initiative,
en tentant de maximiser nos atouts (savoir-faire opérationnels, haut niveau
technologique, volontarisme en matière de transferts de technologies, statut
diplomatique de « troisième voie »,
etc.) et de pallier nos faiblesses (dépendance
faible mais gênante aux composants ITAR, dépendance croissante à l’export
fragilisant le poids de la France dans les négociations, pression politique des
États-Unis, risques industriels inhérents au transfert de technologie, réticence
culturelle des diplomates français à assumer ces missions, etc.)[8].
[2] Le site
Internet de l’Agence, pour plus de précisions : http://www.dsca.mil/programs/
[3] « Foreign Military Sales Acquisition Policy
and Process, Chapter 9 », téléchargeable ci-après : https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=3&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwj6mfCN9L7ZAhVhJcAKHcjRAZ0QFghCMAI&url=http%3A%2F%2Fwww.discs.dsca.mil%2Fdocuments%2Fgreenbook%2F09_Chapter.pdf&usg=AOvVaw0EAbA2X7iR27NldJhlfV2d
[8] Je vous
conseille, pour approfondir, de vous référer au « Focus stratégique » de l’Ifri intitulé : « Politique française de soutien aux
exportations d’armement : raisons et limites d’un succès »,
disponible ici : https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/politique-francaise-de-soutien-aux-exportations
Commentaires
Enregistrer un commentaire