UE et Otan : « faux débat », véritables enjeux
Allégorie... ?
Lundi
13 novembre, 23 pays de l’Union européenne s’engageaient à une
« coopération structurée permanente » (CSP) afin de donner quelque
substance au serpent de mer de l’Europe de la défense, que ce soit en matière
d’armements ou encore d’opérations extérieures. L’initiative se veut
complémentaire de l’Otan, et vise à résoudre les « problèmes de sécurité que l’Europe a dans son voisinage »[1],
pointait alors Madame Ursula von der Leyen, ministre allemande de la Défense.
Car précisons que l’Otan n’a ni pour mission, ni pour vocation à répondre à
l’ensemble des défis posés à l’Europe (citons à titre d’exemple
l’intervention française au Mali). Face à cette complémentarité affichée,
revendiquée même, Monsieur Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Alliance
atlantique, déclarait : « je
pense que cela peut renforcer la Défense européenne. Ce qui est bon pour
l’Europe est bon pour l’Otan », pointant l’opportunité « d’améliorer le partage du fardeau au sein de
l’Alliance ».
Un A400M passe…
Pourtant,
un tout autre son de cloches se faisait entendre la semaine dernière (les 14 et
15 février), à l’occasion de réunions préparatoires au prochain sommet de
l’Otan en juillet prochain. Ce même Monsieur Stoltenberg fustigeait alors une
Europe de la Défense qui ne saurait « se
substituer à ce que fait l’Otan », ajoutant même qu’elle « ne doit pas fermer ses marchés de défense ».
À qui donc ? Aux industriels américains, bien entendu[2]. Une
posture partagée (initiée ?) par le Secrétariat à la Défense américain, en
la personne de Jim Mattis et de sa subordonnée Katie Wheelbarger, en charge de
la sécurité internationale.
Face
à la défiance affichée par les États-Unis, le Secrétariat général de l’Otan et
même quelques pays européens[3] (dont
certains sont pourtant signataires de la CSP), le couple franco-allemand n’a
pas tardé à répondre[4],
défendant l’idée d’une Europe pleinement intégrée dans le « partenariat transatlantique », mais
disposant néanmoins de « l’autonomie
stratégique » pleine, entière et opérationnelle. Une position de bon
sens, en effet, tant il est absurde d’opposer Otan et Union européenne.
La
légitimité et la nécessité d’une autonomie stratégique européenne n’ont rien de
révolutionnaire, et elles ne sont pas nées des coups de boutoirs portés par le
président Donald Trump à la crédibilité de l’Otan. Car rappelons-le tout de
même, celui-ci a rechigné à s’engager
sur l’article 5 du Traité, qui fonde pourtant le principe même de la défense
collective de l’Alliance[5], ce au
nom de basses considérations populistes.
L’on
peut également ajouter que, d’un point de vue purement opérationnel, une UE un
minimum consolidée, unifiée autour de doctrines, d’industriels et d’équipements
communs serait nettement plus pertinente pour contribuer efficacement à la
mission otanienne de sanctuarisation du théâtre européen. De surcroît, si, par
exemple, acheter le F-35 permettrait à nombre de pays (Belgique en tête)
d’atteindre les 2% de PIB consacrés à leur défense (considérant le coût
prohibitif de l’appareil), en accord avec les engagements otaniens, force est
de constater qu’une telle issue serait délétère pour l’Otan en tant qu’instrument
militaire. En effet, en menaçant la cohérence des armées alliées, en proposant
(voire en imposant) des matériels inadaptés et/ou trop coûteux (citons aussi la
mauvaise surprise suédoise avec le Patriot[6]),
Washington sacrifie en réalité l’Alliance transatlantique sur l’autel de son
complexe militaro-industriel.
En
prenant un peu de recul, l’on croit déceler une autre raison, cette fois-ci
réellement politique et stratégique, à la méfiance américaine à l’endroit d’une
défense européenne.
En
consacrant l’Alliance transatlantique comme seul et unique mécanisme de défense
collective pour garantir la sécurité des États européens (bien que cette
garantie soit aujourd’hui relativement écornée), l’Union européenne et les
Etats-membres qui la composent se voient ainsi privés de toute influence hors
de leur territoire. En l’enfermant dans un rôle de « nain diplomatique », indigne de son rang économique, démographique,
culturel, etc., ce serait refuser à l’Europe
jusqu’à la faculté de concevoir sa défense hors du cadre de l’Otan, et donc hors du territoire
européen. Ce serait la pousser à un isolationnisme dangereux, ignorant les
menaces de son environnement plus ou moins immédiat (méditerranée, Afrique,
Proche-Orient, et même Asie). Et confortant par là même une tendance déjà bien
réelle de certaines capitales européennes à refuser de prendre en charge leur
sécurité. Certes, en ces temps de perte d’influence américaine et de remise en
cause par la Maison Blanche d’un monde de plus en plus multipolaire, Washington
se verrait ainsi flatté, d’évincer ce faisant un rival de poids. Néanmoins, ce
serait également se priver d’un partenaire nécessaire en cette époque d’équilibres
précaires.
Partant,
et respectueusement, je ne puis que m’inscrire en faux face à notre ministre
des Armées, Madame Florence Parly, lorsque celle-ci parle de « faux débat » en refusant d’opposer,
bien logiquement, Otan et UE. Le simple fait que nos partenaires aient décidé de
s’y engouffrer, multipliant les assauts contre une initiative européenne à
peine lancée, nous impose de leur apporter une réponse polie mais néanmoins inébranlable.
Commentaires
Enregistrer un commentaire