General Electric, ce colosse aux pieds d’argile qui pourrait rebattre les cartes de l’aéronautique
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20
juin 2018. Un coup de tonnerre retentit à Wall Street, ébranlant le capitalisme
industriel made in USA jusque dans
ses fondations : General Electric est exclu de l’indice Dow Jones. Or, GE
était déjà présent à la création de l’indice boursier – le plus vieux du monde
– en 1896. Et il ne l’avait pas quitté depuis 1907. Une exclusion à la portée
symbolique évidente, et qui illustre bien les mutations de la finance mondiale,
qui s’éloigne de l’industrie à la faveur de la high tech. Plus qu’un simple
groupe, GE, en partie fondé par Thomas Edison lui-même, est l’un des derniers
hérauts, avec United Technologies, d’une certaine vision du capitalisme, de
l’industrie. Celle d’un monde où les conglomérats tentaculaires ont – ou plutôt
avaient – vocation à répondre à tous les besoins. Du réfrigérateur au réacteur
d’avion, en passant par les scanners médicaux, les locomotives et les turbines
destinées aux centrales électriques. Bref, tout ce dont le monde moderne a(vait ?)
besoin pour tourner rond. Et cette philosophie industrielle a irrigué jusque
dans notre culture, inspirant plus ou moins directement les grandes
corporations qui imposent leur loi dans les univers de science-fiction imaginés
au XXème siècle. D’OmniCorp (Robocop)
à la Weyland-Yutani (Alien), en
passant par la Tyrell Corporation (Blade
Runner). Des univers où, d’ailleurs, ces conglomérats n’ont pas bonne
presse, servant en effet de catalyseur aux craintes suscitées par les dérives
d’un capitalisme omnipotent et omniscient. Mais je m’égare, et, bien
évidemment, il serait malavisé de dresser, sérieusement, un parallèle entre UTC
et GE et leurs pendants cyberpunks.
Toujours
est-il que le déclin de GE est une réalité depuis quelques années déjà – ce qui
se reflète d’ailleurs plutôt bien dans la fiction, où les rejetons malfaisants
des GAFA ont pris la place du grand méchant. En novembre 2017, GE cédait ainsi son titre de société industrielle américaine à la plus grande capitalisation boursière à Boeing. Ce bouleversement, là encore très symbolique, est néanmoins
la conséquence de difficultés bien réelles, concrètes. Même si GE peut toujours se targuer d’une fort
honorable capitalisation d’environ 150 milliards de dollars, ainsi que d’un
chiffre d’affaires de 122 milliards de dollars en 2017 (-1,3%
« seulement » par rapport à 2016, grâce notamment à des résultats
meilleurs qu’escomptés dans la santé). Tout est relatif, donc, et il convient
de ne pas trop forcer le trait : si GE est dans une mauvaise passe, sa
survie ne semble pas, à moyen terme, menacée.
Néanmoins,
avec une perte nette de 6,22 milliards de dollars en 2017, et de 1,18 milliard
de dollars au premier trimestre 2018, les résultats du conglomérat inquiètent
les marchés, qui l’ont sanctionné en amputant sa capitalisation de 55% entre
fin 2016 et mai 2018. Le groupe souffre notamment grandement du retournement du
marché de l’énergie, qui se tourne aujourd’hui de plus en plus largement vers
les renouvelables au détriment du nucléaire, du gaz et du charbon, où GE est très
présent, dans les turbines notamment (et a
fortiori depuis le rachat d’Alstom en 2015 – un rachat qui a même déçu John
Flannery, le nouveau PDG du conglomérat).
Une
situation difficile qui a mené M. Flannery a annoncé une nouvelle restructuration. En sus des traditionnelles mesures de compression des coûts
(avec des milliers de suppressions d’emplois à la clef), il entend ainsi
recentrer son groupe sur trois secteurs : l’aéronautique (avec principalement
les motorisations d’avion, un secteur qui se porte très bien), la santé (mais
en scindant cette division) et l’énergie (avec un pivot vers les
renouvelables). Le plan de cession d’actifs permettrait également de réduire sa
dette de quelque 25 milliards de dollars d’ici 2020. Mais cette restructuration s’annonce
difficile, et GE a déjà prévenu que 2019 pourrait s’illustrer par une réduction des dividendes. Une perspective fort mal accueillie par les marchés et les
actionnaires, qui font pression sur le groupe.
C’est
le secteur aéronautique qui va nous intéresser ici. Les activités aéronautiques
du conglomérat sont regroupées dans sa branche GE Aviation, et représentaient
27,3 milliards de dollars en 2017 (+4% par rapport à 2016), avec un résultat
opérationnel à 6,6 milliards (+9% par rapport à 2016).
GE
Aviation est en effet leader du
secteur de la motorisation aéronautique. Ses réacteurs propulsent un vaste
éventail d’avions civils (Boeing 777, 787,
737, 747 ; Airbus A320, A330, A380, etc.) Que ce soit avec des réacteurs conçus en propres ou en
partenariat avec d’autres industriels, comme le CFM-56 et son successeur le
LEAP, issus d’une joint venture à parts égales entre Safran et GE. Or, en
propulsant la totalité des Boeing 737 MAX et une majorité des Airbus A320neo –
deux avions qui se disputent le très dynamique marché des moyen-courriers
– le LEAP constitue un best-seller qui bénéficie tant à GE qu’à
Safran.
Dans
le domaine de l’aviation militaire, GE n’est pas en reste, en motorisant deux
des trois bombardiers stratégiques américains (le B-2 et le B-1), ainsi que le F-35,
le F/A-18, le A-10, l’hélicoptère Apache ou encore certains F-16 et F-15, le
Gripen… La liste, déjà longue, n’est en rien exhaustive.
Enfin,
en sus de la propulsion, GE Aviation propose des systèmes d’avionique, de Data Management (notamment pour la
maintenance prédictive, un domaine qui aiguise les intérêts des opérateurs et
des industriels), de gestion de puissance, ainsi que des services liés à la
maintenance… Bref, un portefeuille d’activités qui couvre une très large part de
la valeur ajoutée d’un avion, civil comme militaire.
Considérant
la solidité de cette offre, ainsi que les perspectives optimistes du marché du
transport aérien, l’on comprend aisément la volonté de GE de se recentrer, pour
une large part, sur ce secteur. De même, il semble très prématuré de
s’inquiéter d’un impact négatif de la restructuration en cours sur le
partenariat CFM International. Au contraire même, Safran a tout à gagner de
voir son partenaire regagner des marges de manœuvres financières (si cette
restructuration mène à un succès bien entendu) alors que le marché est en
pleine consolidation et que les acteurs sont en quête de l’innovation de
rupture qui permettra de s’imposer (comme la propulsion hybride, par exemple).
Il
est également légitime de se demander si, une fois sa dette allégée et la
confiance des marchés retrouvée (ce qui est loin d’être garanti), GE ne cèdera
pas aux sirènes de la croissance externe en rachetant un autre acteur du
secteur aéronautique. Histoire, notamment, de ne pas se laisser distancer par
United Technologies qui a jeté son dévolu sur Rockwell Collins il n’y a pas si
longtemps. Car comme évoqué à plusieurs reprises dans les pages de ce blog, le secteur est en pleine
consolidation.
Or, en
parlant de consolidation, une autre éventualité émerge : et si GE était
racheté par… Boeing ? Certes, une telle hypothèse relève, à cette heure,
de la totale spéculation. Et cela exigerait de mener à bien l’une des plus
importantes et complexes opérations industrielles de l’histoire de l’aéronautique.
Néanmoins, plusieurs éléments pointent vers une telle fusion. D’abord, on l’a
vu, de nombreux appareils de Boeing sont motorisés par GE. Un rachat, d’un
point de vue purement industriel, permettrait de dégager des synergies
intéressantes et de damer le pion à Airbus. En effet, Boeing comme son
concurrent européen, ne font pas secret de leur volonté de réinvestir leur supply chain afin de reprendre le
contrôle de la production des systèmes complexes – avec en prime leur
maintenance – qui concentrent l’essentiel des marges. A cet effet, le récent
partenariat annoncé entre Safran et Boeing sur la production conjointe d’APU illustre bien le désir du second de reprendre pied dans la conception des
systèmes aéronautiques qui équipent ses avions. En outre, à plus court terme,
en réservant le LEAP au seul Boeing 737 – si tant est que cela soit possible,
certes – Boeing gagnerait un avantage décisif sur Airbus et son A320neo, le
Pratt & Whitney PW1000 s’attirant les foudres des opérateurs de par ses
coûteux problèmes de jeunesse. L’actionnariat de GE, très éclaté, pourrait
quant à lui accueillir favorablement la perspective de céder la division
aviation du groupe à l’avionneur américain. En particulier sous la pression des
investisseurs activistes. Mais ce n’est là que pure conjecture.
L’on
pourrait bien évidemment rétorquer qu’une telle fusion devrait avant toute
chose obtenir l’aval des autorités américaines, traditionnellement tatillonnes
en matière de trusts. Toutefois,
comme l’illustrait encore très récemment le soutien sans faille de Washington à
Boeing dans le cadre du contentieux avec Bombardier, l’administration Trump
semble faire montre d’un biais plus que favorable à l’endroit de Boeing. Et d’un
point de vue politique et symbolique, la création d’un tel superchampion
aéronautique, au détriment d’Airbus, aurait de quoi flatter les élans
protectionnistes aujourd’hui en vogue à Washington D.C.
N'ayant pas de boule de cristal, je ne puis que formuler des hypothèses, sans doute erronées. Toutefois, il me semble impératif de suivre avec la plus grande attention le destin de GE,
qui pourrait mener à un véritable bouleversement de l’industrie aéronautique.
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