« Qui Innove Gagne ! » : du rôle moteur des forces spéciales dans l’innovation
"Forces spéciales, l'esprit start-up", Journal de la Défense du 11 septembre 2017.
Après
un compte-rendu de la table ronde consacrée à l’influence des nouvelles
technologies sur le commandement et la décision, je vous propose de poursuivre notre
RETEX (très partiel, certes) du Forum Innovation Défense qui s’est tenu du 22
au 24 novembre 2018 à la Cité de la Mode et du Design, à Paris.
Si
la démonstration du COS sur la Seine a bien évidemment beaucoup fait parler
d’elle, avec notamment le renfort du fameux Flyboard,
nous allons pour notre part revenir sur l’excellent atelier « Comment
l’innovation vient-elle en appui des opérations spéciales ? »,
organisé le 23 novembre et auquel j’ai eu la chance d’assister. Dans ce cadre,
quatre officiers des forces spéciales ont présenté, exemples à l’appui, leurs
approches, bien particulières, de l’innovation.
Plutôt
que de livrer un compte-rendu détaillé de cet événement, particulièrement dense
et riche, j’ai fait le choix de me concentrer sur les grandes lignes des propos
qui y ont été échangés, afin de (tenter de) présenter les enjeux et
problématiques du sujet.
On
constate ainsi une certaine autonomie (et une autonomie certaine) du COS et de
ses composantes dans la recherche et la conduite de l’innovation, afin de
trouver rapidement et concrètement des réponses à des problématiques
opérationnelles qui se posent à eux, sur le terrain. À ce titre, les relations avec les
industriels (souvent des PME et ETI) se montrent particulièrement directes,
afin de coller au plus près du besoin. On citera, à titre d’exemple, le
co-développement du Cadex .408 par le 1er RPIMa et la jeune société canadienne Cadex. Le système s’articule ainsi autour d’un fusil, de sa munition
et d’un calculateur de tir, novateurs à plus d’un titre. Ce système, dérivé
d’un calibre de chasse, propose en effet une efficacité comparable au calibre
.50 (ou 12,7 mm) en termes de vélocité, de portée et de précision, pour un
poids environ deux fois moindre. Un gain particulièrement appréciable, quand on
sait qu’un PGM Hécate II pèse plus de 16 kilogrammes.
En
outre, l’intérêt pour ce fusil s’explique également par le fait que les
adversaires non-étatiques s’adaptent et se montrent dangereux à des distances
croissantes. Il s’agit donc d’une innovation issue du monde civil, étudiée,
optimisée et adaptée aux contraintes des forces spéciales, en cycle très court.
En effet, après moins d’une année, les premiers tests se révèlent
particulièrement prometteurs, avec des coups au but à plus de 2 000 mètres dès
les premiers tirs, illustrant la qualité du système. La vitesse est donc un
impératif : il s’agit de ne pas se laisser distancer par nos rivaux et
ennemis.
Néanmoins,
si la réussite est bien évidemment l’objectif premier, l’échec n’est pas
inutile, loin de là, en ce qu’il est porteur d’enseignements précieux. Une
dimension pleinement intégrée par les forces spéciales, à l’image du
Commandement des Forces Spéciales Terre qui n’a eu de cesse de rappeler
l’importance du RETEX (RETour d’EXpérience), afin de tirer les leçons de ce qui
ne fonctionne pas et, in fine,
d’apprendre de ses erreurs.
On
notera également un « esprit Géo Trouvetou » qui irrigue toutes ces
structures, qui ne cachent pas déployer sur le terrain des systèmes qui
relèvent du « bricolage » pour vérifier leur pertinence opérationnelle
le plus en amont possible, afin de juger s’ils méritent, ou non, d’être
davantage perfectionnés. On citera à cet effet l’escadron de transport 3/61
Poitou qui a « bricolé » des boules optroniques pour développer une
capacité de reconnaissance et de surveillance, ou encore un EVS (pour Enhanced Vision System) sur C-160
Transall afin d’aider au pilotage de nuit. Si dans le second cas, le système
s’est montré compliqué à intégrer au vénérable C-160, pour ce qui est de la
boule optronique, les résultats encourageants ont mené à développer cette voie
en travaillant à y adjoindre des capacités de transmission vers les équipes au
sol, par exemple.
L’innovation
se veut également incrémentale, moins spectaculaire, comme pour l’ETRACO de la
Marine nationale, adapté aux besoins divers des commandos qui l’emploient via des nouveaux aménagements ou de
nouvelles pièces.
Enfin,
en agissant comme des « laboratoires » grâce à l’agilité inhérente
aux petites structures que sont les forces spéciales, ces travaux peuvent, in fine, rejaillir sur le reste des
forces. On citera dans ce cadre la navalisation du Missile Moyenne Portée (ou
MMP), validée par des essais menés par la Force maritime des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO) sur une embarcation rapide ECUME, et qui laisse
entrevoir une intégration éventuelle sur des navires plus lourds pour en
renforcer l’autoprotection à courte portée (jusqu’à 5 kilomètres) face
notamment à des menaces asymétriques (comme des embarcations-suicides).
Néanmoins,
les intervenants ont également évoqué (notamment lors des questions du public)
plusieurs limites et problématiques auxquelles ils font face. Avec d’abord la
question de l’industrialisation des solutions co-développées, bien souvent,
avec des PME. Ce qui implique qu’elles y trouvent leur intérêt. Ce qui impose
un accompagnement de ces entreprises. Une meilleure adaptation du droit de la
commande publique aux besoins si particuliers des forces spéciales figure en
outre parmi les doléances exprimées,
afin notamment de faciliter la montée en puissance industrielle des
solutions les plus intéressantes en réduisant les délais.
Les
intervenants ont également souligné la nécessité de renforcer leurs ressources
humaines consacrées à l’innovation, pointant au passage l’importance des
réservistes FS en la matière.
Autre
sujet majeur : le « choc des cultures » avec la Direction
générale de l’armement, dont la légitime mission de certification
(notamment afin de s’assurer de la qualité des équipements livrés et de ne
point engager la responsabilité juridique du ministère envers les biens et les
personnes) est néanmoins perçue par les forces spéciales comme un facteur d’allongement
des cycles.
(À
titre personnel, j’estime que l’on touche là du doigt un enjeu aussi important
que complexe, et qu’il s’avèrera difficile – mais pas forcément impossible – de
concilier le besoin de vitesse et de souplesse des forces spéciales et les impératifs
de politique industrielle de la DGA. Néanmoins, la DGA étant aujourd’hui mise
sous pression par l’exécutif pour qu’elle se réforme, il se pourrait que ces
frictions puissent diminuer. À suivre, donc. Fin de la digression.)
À ce
titre, les forces spéciales espèrent beaucoup de l’Agence de l’innovation de
défense. Parmi les nombreuses attentes : simplification des
procédures et des dispositifs de soutien à l’innovation, accompagnement
(notamment RH) dans le « maquis de l’innovation », interface entre
les différents acteurs (au sein de l’institution militaire, vis-à-vis des
industriels de toutes tailles, mais également en direction du monde de la
recherche et des écoles, etc.),
facilitation du passage du démonstrateur à l’industrialisation, réassurance
auprès des PME…
En
un mot comme en cent, les forces spéciales demandent de l’Agence qu’elle leur
fasse confiance.
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