OK Boomer
Auteur inconnu, et
oui, navré d’expliquer la blague, mais dans le « jargon »
anglo-saxon, un boomer est un sous-marin nucléaire lanceur d’engins.
L’annonce du partenariat
stratégique tripartite AUKUS, réunissant l’Australie, le Royaume-Uni et les
Etats-Unis face à une Chine soigneusement non-nommée, dans la nuit du 15 au 16
septembre 2021 a provoqué un séisme stratégique dont les ramifications sont encore
difficiles à cerner de manière précise. Naturellement, beaucoup a été dit et
écrit à ce sujet, en particulier sur la crise diplomatique qui s’en est suivie
entre Paris d’un côté, et Canberra, Washington et Londres de l’autre. De même
qu’ont été abondamment commentées les conséquences pour Naval Group, qui voit
son partenariat avec l’Australie pour la construction locale de 12 sous-marins
conventionnels de classe Attack – dérivés de la classe Suffren de la Marine Nationale
– rompu au profit d’un programme « d’au moins 8 » sous-marins
nucléaires d’attaque (SNA) australiens dont les contours sont encore flous et doivent,
en principe, être précisés dans les 18 prochains mois. En effet, à ce stade, on
ignore en réalité presque tout de ce projet : quel design ? Quel calendrier ?
Quel montage industriel ? Quel budget ? Etc., etc.
Mais ces questions ne seront pas l’objet
de ce présent billet de blog. Je vous propose en effet de faire un petit pas de
côté, et de considérer les déclarations suivantes, d’un « expert
militaire anonyme chinois », cité par le Global Times,
un journal qui tient ses ordres directement du Parti Communiste Chinois (ce
qui, bien évidemment, atteste d’une ligne éditoriale parfaitement neutre et
équilibrée) :
« A senior Chinese military expert who
requested anonymity told the Global Times on Thursday that at present, only
nuclear-armed countries have nuclear submarines, and a nuclear submarine is one
tasked to launch a second-round nuclear strike in a nuclear war.
So when Australia acquires such weaponry and
technology, the country will potentially pose a nuclear threat to other
countries, "because it's easy for the US and the UK to deploy nuclear
weapons and submarine-launched ballistic missiles on the Australian submarines
if they believe it's necessary, and Biden and Morrison's promises of 'not
seeking nuclear weapons' are meaningless," the expert said.
This would make Australia a potential target
for a nuclear strike, because nuclear-armed states like China and Russia are
directly facing the threat from Australia's nuclear submarines which serve US
strategic demands. Beijing and Moscow won't treat Canberra as "an innocent
non-nuclear power," but "a US ally which could be armed with nuclear
weapons anytime,"
the expert said, stressing that AUKUS is putting Australia in danger, and
Morrison's ambition could bring destructive consequences to his country if a
nuclear war breaks out. »
Il y a beaucoup à (re)dire de ces
quelques lignes. Et avant qu’on ne m’oppose le fait que cette déclaration
provient d’une source anonyme qui ne représente pas grand-chose ni personne
dans l’absolu, et que donc il convient de ne pas y prêter grande attention :
un tel propos relayé par un organe de propagande de premier plan d’un régime
comme la République Populaire de Chine n’a absolument rien d’anodin. De telles
déclarations, quand bien mêmes proviennent-elles d’une source anonyme qui
pourrait être totalement imaginaire, ont été, d’une manière ou d’une autre,
validées par le PCC lors de la publication de cet article dans le Global
Times. Il est donc, à mon sens, non seulement possible mais également
nécessaire de prendre de telles remarques au sérieux, et d’estimer qu’elles
peuvent tout à fait relever d’une déclaration d’intention chinoise au
partenariat AUKUS, s’inscrivant dans une rhétorique chinoise aujourd’hui bien
connue pour ses outrances. Par ailleurs, la dissuasion se joue aussi (et
peut-être même en premier lieu) par le discours.
Donc, en effet, beaucoup de
choses à redire. Cet « expert militaire chinois » va en effet
un petit peu vite en besogne, confondant à dessein sous-marin nucléaire
d’attaque (donc à propulsion nucléaire mais SANS missile balistique nucléaire)
et sous-marin nucléaire lanceur d’engins (qui eux ont une propulsion nucléaire
ET des missiles balistiques à têtes nucléaires, et qui constituent l’un des
moyens privilégiés de la dissuasion nucléaire – voire le seul comme dans le cas
britannique). Notre ami Chinois se montre en outre particulièrement cavalier en
avançant qu’installer des armes nucléaires à bord d’un SNA se ferait en un tour
de main (non, c’est un peu plus compliqué que de changer les pneus de sa Clio
quand l’hiver vient), ou même que « nucléariser » l’Australie
fait partie des intentions des trois partenaires d’AUKUS. C’est même
particulièrement inepte que d’avancer qu’il serait aisé de monter des missiles
balistiques sur un SNA (qui ne dispose ni des silos adéquats, ni même de la
taille, pour ce faire). Les buts de la manœuvre semblent ici évidents :
faire passer la RPC pour un pays agressé, et tenter d’effrayer l’opinion
publique australienne en affichant clairement qu’en cas de réchauffement
soudain des relations entre Pékin et les pays de l’AUKUS, l’Australie pourrait
constituer, aux yeux de la Chine, une cible légitime pour des frappes
nucléaires. Probablement dans l’espoir de peser sur le débat politique
australien sur la question de ces SNA, afin que l’opinion, et certains de ses
relais politiques, fassent pression sur le gouvernement australien pour qu’il
revoit sa position quant à la question des SNA, voire du partenariat AUKUS. Et,
si j’ose dire, c’est de bonne guerre.
Pour autant. Néanmoins.
Cependant. Et sans vouloir nullement servir la soupe à la propagande de Pékin –
un régime pour qui, je me dois de rappeler, je n’ai aucune sympathie – il se
pourrait que les choses soient un peu plus compliquées, et qu’il y ait un petit
fond de vérité dans ces craintes affichées.
Il convient en effet, à mon sens,
de souligner qu’objectivement, il existe un contexte, et un faisceau croissant
d’éléments qui donnent à penser que le triptyque consacré sous-marin
conventionnel/SNA/SNLE est bien moins rigide, et plus précaire, qu’on ne voudrait
le croire. Et que cette tendance à brouiller les frontières entre ces
catégories ne semble pas prête de s’arranger. Bien au contraire. A mon sens,
les annonces découlant du partenariat AUKUS pourraient avoir des conséquences
profondes en matière de course aux armements. Pas forcément bien anticipées par tous.
S’agissant de quelques réflexions
de prospective technologique sur des questions militaires hautement sensibles
et stratégiques, bien évidemment, les lignes qui suivent ne sont pas à prendre
comme parole d’évangile. D’autant qu’il ne s’agit pas vraiment de ma
spécialité. Je n’ai aucune certitude, et je ne m’emploierai qu'à pointer des
risques, des possibles au regard des tendances actuelles. Je n’ai pas de boule de cristal. Naturellement, je suis preneur
de critiques et réflexions. Nombreux sont ceux à maîtriser davantage ces sujets que
moi. Je serais ravi d’en discuter, voire d’en débattre.
Pour autant, j’ai pensé que ces réflexions auraient été un peu trop à l’étroit dans un fil sur Twitter. Aussi en ai-je profité pour ressusciter ce modeste blog (mais je ne sais encore pas si je pourrais l’alimenter régulièrement).
SS/SNA/SNLE : une sainte trinité battue en brèche
Il convient d’abord de rappeler
une chose parfois occultée par la summa divisio SS/SNA/SNLE :
tous les pays dotés de l’arme nucléaire n’ont pas de SNLE (ni de SNA
d’ailleurs). Le Pakistan par exemple, ou encore la Corée du Nord. L’Inde, quant
à elle, n’a pas encore de patrouille permanente de SNLE, bien qu’elle ait testé
avec succès son premier SNLE et prévoit
l’entrée en service prochaine de son second. La Chine bien sûr, mène depuis
plusieurs années un effort intense de développement d’une force
nucléaire océanique crédible. Le SNLE est un vecteur particulièrement
important, aux avantages considérables sur d’autres composantes nucléaires (sa
discrétion et son endurance lui permettent, à ce jour, d’être le vecteur
apportant les plus fortes garanties de frappe en second). Mais ce n’est pas l'unique moyen
de mettre en œuvre une dissuasion nucléaire.
Il y a aussi des pays, en tout
cas un, qui dispose de la bombe atomique, et d’une dissuasion qui se repose, en
partie, sur une composante sous-marine qui se distingue par sa propulsion
conventionnelle : Israël, avec ses sous-marins acquis
auprès de l’Allemand TKMS et qui sont, aux yeux de nombreux spécialistes, aptes à
mettre en œuvre des missiles de croisière armés de têtes nucléaires. Rappelons
au passage la politique israélienne d’ambiguïté sur sa dissuasion nucléaire.
Nul besoin, donc, de disposer de
SNLE pour mettre en œuvre une dissuasion nucléaire sous-marine...
Mais il y a également le cas
sud-coréen, avec la
toute récente mise en service d’un SSB (propulsion conventionnelle), le Dosan
Ahn Chang-ho doté de missiles balistiques (conventionnels eux aussi). Notons
d’ailleurs que l’annonce du premier tir réussi d’un SLBM (submarine launched
ballistic missile) depuis ce sous-marin a été annoncé le 15 septembre par
Séoul, coïncidant avec l’annonce du projet de SNA australien. Or, depuis
plusieurs années, il existe des débats à Séoul sur
la propulsion nucléaire de ses futurs sous-marins. Voire
sur l’arme nucléaire (une majorité de l’opinion publique y serait
d’ailleurs favorable). La récente annonce du programme de SNA australien
pourrait faire pencher la balance à Séoul, qui dispose de solides capacités
technologiques et industrielles, en faveur du nucléaire, ne serait-ce que, dans
un premier temps, pour la propulsion de ses sous-marins, alors
que les relations avec Pyongyang ne semblent pas se diriger vers un apaisement.
Le risque proliférant dans le cas de la Corée du Sud ne saurait être occulté.
Ni minimisé, ni surévalué, mais il existe.
Enfin, pour aller davantage dans
la prospective, au nom de la « parité stratégique » entre
Islamabad et New Delhi – qui dispose de SNLE – serait-il absurde de voir un
jour Pékin fournir le Pakistan en SNA, voire en SNLE, en invoquant fort
opportunément le précédent australien ? (Reste, certes, la question budgétaire qu'il ne faut pas négliger.) Ce qui était la semaine dernière
de l’ordre de l’impensable relève aujourd’hui du possible, et stratégiquement,
une telle manœuvre aurait comme avantage pour Pékin de renforcer un allié
majeur, que
la Chine fournit déjà massivement en sous-marins conventionnels, à l’ouest
de la zone indopacifique, pour la prendre en tenaille. D’ailleurs, la
presse indienne commence déjà à s’en inquiéter – et l’Inde pourrait en
effet voir dans l’annonce de la construction d’une flotte de SNA australiens un
signal pour hâter ses propres projets en la matière. « Yes we can »
martelait Joe Biden alors en campagne pour Barack Obama. D’autres pourraient
lui rétorquer à l’avenir « well, we can too ».
L’hypersonique, voué à combler
l’écart :
En réalité, si l’enjeu porte
sur les sous-marins, et les technologies afférentes, il porte aussi (et
peut-être surtout) sur leurs armements. La différence entre un SNLE et un
SNA ? Le premier dispose de missiles balistiques, qui offrent une allonge,
une vitesse et une difficulté d’interception qui en font des vecteurs de choix
pour la dissuasion nucléaire. Mais cela ne signifie pas, pour autant, que les
SNA sont dénués de capacités d’attaque vers la terre, bien au contraire. La
France introduit avec les nouveaux SNA de classe Suffren une capacité de tir de
missiles de croisière. Une capacité stratégique, et non-nucléaire, qui
faisait cruellement défaut à notre force sous-marine, et qui sera bientôt
comblée. Mais d’autres vont encore plus loin : les SNA de classe Virginia
de l’US Navy disposent ainsi de 12 silos verticaux uniquement dédiés à la mise
en œuvre de missiles de croisière – et les Virginia Block V, de nouveaux
lanceurs pour une puissance de feu accrue de 28 Tomahawk. En
résulte des plateformes sous-marines aux capacités de frappe stratégique
considérables. Et rappelons que le Virginia est l’un des designs
sur lequel pourrait être basé le prochain SNA australien (mais pour l’heure, la question
demeure ouverte).
Or, l’US Navy ne compte pas se
contenter des Tomahawk subsoniques pour ses SNA : la
Marine américaine a annoncé sa volonté d’introduire dès la fin de cette
décennie des missiles hypersoniques à bord de ses Virginia Block V. Bien
plus facile à dire qu’à faire, certes, mais la volonté est claire, et les
Etats-Unis font partie des Etats (avec la Russie et la Chine en particulier)
consacrant d’importants moyens à la technologie de l’hypervélocité, qui comble
une partie de l’écart entre missiles de croisière et missiles
balistiques (vitesse, portée, difficulté d’interception…).
Et c’est là qu’il convient de
souligner que le partenariat AUKUS ne porte pas uniquement sur des SNA pour
l’Australie, mais s’inscrit dans un partenariat militaire, et tout
particulièrement technologique, bien plus large. Canberra
annonce ainsi que, dans ce cadre, l’Australie se procurera notamment des
missiles de croisière Tomahawk pour ses 3 destroyers de classe Hobart,
des missiles JASSM air-sol pour ses avions de combat mais surtout « continuera
sa collaboration avec les Etats-Unis en vue de développer des missiles hypersoniques
pour [ses] capacités aériennes ».
A ce stade, donc, l’intérêt
australien pour des missiles Tomahawk à court terme, et hypersonique à plus
long terme, est conforté, confirmé. Et si, pour le moment, le gouvernement australien
prend soin de ne pas indiquer que de tels armements seront installés à bord de
ses futurs SNA en projet, il convient de rappeler que les sous-marins conventionnels
de classe Attack devaient, eux, disposer de capacités de frappe vers la terre. C’est-à-dire
une capacité de mise en œuvre de missile de croisière. C’était même l’un des principaux
gains capacitaires recherchés pour la Royal Australian Navy dans le cadre de ce
projet avorté :
Capture d’écran du
site Internet de la Marine australienne sur le programme Attack (consulté en
cache, la page ayant sauté…)
La capacité de frappe vers la
terre des futurs sous-marins australiens était affichée dès le Livre
blanc de 2009, puis curieusement passée sous silence dans le Livre
blanc de 2016 (probablement à des fins diplomatiques face à Pékin, à une
époque où il s’agissait de ménager ce partenaire commercial essentiel pour l'Australie), et enfin évoquée
à demi-mots dans la Revue
stratégique de 2020 qui plaçait une emphase particulière sur « les
capacités de frappe vers la terre à longue distance » de la Royal
Australian Navy, sans toutefois indiquer clairement qu’elle en équipera ses
sous-marins. Pour autant, cela n’empêchait pas le site Internet de la Marine de
lister cette capacité parmi celles prévues pour la classe Attack, trahissant
que si Canberra souhaitait ne pas l’afficher, alors, une telle capacité était à
tout le moins très sérieusement envisagée (le qualificatif de SSG, le G désignant
« Guided Missile », ne laissant en réalité guère de doute à ce sujet –
d’ailleurs soulignons que cette terminologie est directement empruntée à l’US Navy…).
Il s’agit donc d’une capacité prioritaire
pour Canberra, qui n’ignore manifestement pas sa sensibilité politico-diplomatique,
et jugée nécessaire pour renforcer la crédibilité de sa dissuasion
conventionnelle, depuis bien avant le revirement en faveur des SNA. Aussi
est-il très peu probable que l’Australie abandonne une telle capacité,
stratégique, pour ses futurs SNA. Ce, d’autant plus que ceux-ci seront basés
sur un design britannique ou américain disposant déjà de cette capacité – de manière
massive pour les Virginia Block V, rappelons-le, qui placent une emphase toute
particulière sur cette capacité de missiles de croisière.
Or, à plus long terme (quoi que,
le premier SNA australien étant raisonnablement prévu à l’horizon 2040, ce qui
laisse du temps pour que cette technologie arrive à maturité), considérant l’intérêt
australien, qui
ne date pas de la semaine dernière, pour les armes hypersoniques, il
apparaît comme logique que Canberra ait la volonté, à terme, d’équiper ses SNA
en missiles hypervéloces. Afin de ne pas laisser sa sous-marinade distancée sur
le plan de la frappe vers la terre. Ce
alors que la Marine russe, notamment, a déjà testé une telle arme, le Zirkon,
depuis un navire de surface et projette de faire bientôt de même avec un
sous-marin. De telles capacités s’inscrivent en effet dans une puissante
dialectique, et la crédibilité exige la parité.
Certes, la volonté seule ne
suffit pas dans la réussite de telles ambitions, et celles actuellement affichées
par l’Australie ne portent que sur des missiles hypersoniques air-sol. Mais il
est plausible que cela ne soit pas tant la propulsion nucléaire en elle-même qui
intéresse en réalité Canberra que la perspective de disposer, à horizon 20 ou 30
ans, d’un sous-marin à propulsion nucléaire équipé d’armes hypersoniques – une plateforme
qui constituerait l’aboutissement des ambitions affichées par l’Australie en
matière de capacités de frappe à longue distance, mais surtout une plateforme
de dissuasion conventionnelle extrêmement crédible. Une perspective autant ambitieuse
et risquée que séduisante.
Or, il est même possible de se
risquer à conjecturer plus avant (au point où nous en sommes…), et de postuler
que Canberra, Washington et Londres projetteraient de ne pas se contenter de permettre
à l’Australie de renforcer ses capacités de dissuasion uniquement conventionnelles
avec de tels sous-marins…
« Nuclear Sharing is
caring »
Techniquement, pour une puissance
nucléaire, monter une tête nucléaire sur un missile de croisière n’a rien de
fondamentalement compliqué. La France le fait avec l’ASMP-A, les Etats-Unis ont
monté des têtes nucléaires W80 sur Tomahawk et la Russie projetterait d’équiper
son missile hypersonique Zirkon (évoqué supra) avec des têtes conventionnelles
comme nucléaires.
Or, en matière de contrôle des
armements, force est de reconnaître que la tendance est loin d’être encourageante,
et en grande partie du fait des Etats-Unis. Washington
s’est retiré en 2019 du traité INF (Moscou suivant dans la foulée), arguant
notamment que la Chine n’étant pas partie au traité, il allait de l’intérêt et
de la sécurité des Etats-Unis ne plus être lié par ce texte. Idem
pour le traité Ciel ouvert, dénoncé par les Etats-Unis en 2020, là encore
suivis par la Russie peu après. Bien avant, c’était le traité d’interdiction
des missiles antibalistiques qui avait été dénoncé par le président Bush,
en 2002.
Ou encore, plus intéressant pour
la zone indopacifique qui nous intéresse ici, Washington
a abandonné cette année les limitations imposées jusqu’alors à Séoul pour ses
programmes de missiles balistiques (qui vont bon train, comme on l’a vu).
Ce qui dénote d’une volonté américaine très claire de réarmer ses alliés de la
région en armements stratégiques – ici des missiles balistiques (conventionnels)
sans limitation de portée ou de charge utile.
Ce qui pose la question des
intentions américaines en la matière à l’égard de l’Australie, érigée au rang
de partenaire de première importance dans la région par les Etats-Unis, dans le
cadre d’AUKUS.
Il paraît particulièrement inepte
et invraisemblable que Washington puisse assister Canberra dans un improbable
programme nucléaire militaire australien (ce, même si l’Australie a eu par le
passé des velléités restées lettre morte en la matière, mais passons). Néanmoins,
dans le cadre d’une stratégie de réassurance des Etats-Unis au profit de l’Australie,
il convient de ne pas écarter la possibilité, certes aujourd’hui encore éloignée, de voir Washington, un jour, confier à son allié australien des armes
nucléaires.
Cela existe déjà, dans le cadre
Otanien, avec le programme Nuclear Sharing, qui vise à « confier »
des bombes nucléaires B61 américaines à un certain nombre de pays non
détenteurs de l’arme nucléaire (Belgique, Allemagne, Italie, Pays-Bas et Turquie).
La mise en œuvre éventuelle de ces armes nucléaires devant être assurée par les
forces armées de ces Etats-membres de l’Otan, sous l’étroit contrôle des Etats-Unis.
(Soulignons que cette initiative suscite depuis des décennies de vives
critiques chez certains des pays y participant.)
Néanmoins, la géographie de l’Indopacifique
étant ce qu’elle est, il est difficile de voir en quoi confier à l’Australie
des bombes à gravité larguées depuis des chasseurs-bombardiers pourrait constituer
une mesure de réassurance crédible et pertinente. Plus de 4 000 km séparent
en effet l’Australie de la Chine… Aussi, l’effet dissuasif d’une telle arme
semble quasi-nul.
Alors que, en revanche, il en
irait très différemment s’agissant de missiles de croisière à têtes nucléaires –
sans même parler d’armes hypersoniques – tout particulièrement s’ils venaient à
être installés à bord de SNA.
Mais bien évidemment, une telle
initiative serait un geste particulièrement fort, probablement très peu
apprécié de la Chine (et de bien d'autres), et non sans risque de faire choir le premier domino d’une
spirale dont les conséquences seraient difficiles à anticiper. Pour l’heure,
cela reste un tabou, et Canberra s'emploie à afficher qu'elle ne souhaite pas disposer d'armes nucléaires.
Un tabou comme l’était l’exportation de
SNA jusqu’au 15 septembre 2021.
Sans prétendre deviner le
futur, ni valider les dénonciations opportunistes de Pékin qui a beau jeu de
hurler que les Etats-Unis sont sur le point de distribuer des armes nucléaires
dans l’Indopacifique au petit bonheur la chance, il apparaît qu’au regard du
contexte actuel, et de certains signaux, l’hypothèse d’une course aux armements
stratégiques (conventionnels ou non) et d’un Nuclear Sharing Indopacifique n’est peut-être pas
si grotesque qu’on aimerait l’admettre.
Merci pour ce post remarquable.
RépondreSupprimerUne interrogation candide me vient, moi qui ne suis qu'un néophyte. Ceci étant dit, j'espère que vous pardonnerez l'ineptie de mon propos ; et je sens bien que vous balaierez rapidement ce point : il me semble contre-intuitif de penser que les missiles balistiques soient plus difficiles à intercepter. Quoi de plus prévisible qu'une trajectoire balistique ? Et maintenant j'attends le cinglant revers du sachant.
Ensuite, concernant la course aux armements dans la zone indo-pacifique, il est vrai que la cordialité affichée hier entre les autorités françaises et indiennes laissent croire que les jeux d'alliance ne sont pas terminés. Sans revenir sur vos remarques concernant le Pakistan et la Chine ou la Corée du sud. Et quid du Japon et de tant d'autres ?
Enfin, je me disais que si j'étais analyste chinois, je pomperais votre article pour me faire mousser sans rien foutre. 🙂
Et encore merci d'avoir pris le temps de la réflexion et de la rédaction. J'espère que ce n'était pas sous la menace d'une épée de Damoclès. 😉
Frédéric Jund
Bonjour, et d'abord merci pour votre commentaire.
RépondreSupprimerNon, votre question n'est ni candide, ni inepte, et soulève un point important que j'ai en effet peut-être traité un peu vite.
L'avantage majeur du missile balistique, c'est sa vitesse. On parle de Mach 20 et plus en phase finale.
Cela signifie qu'entre le moment où le missile est tiré et celui où il atteint sa cible, le délai se compte en quelques dizaines de minutes (pour une trajectoire de plusieurs milliers de kilomètres).
De fait, le "préavis" est donc très réduit, de même que le temps disponible pour tenter d'intercepter un MB.
Ce qui suppose, et c'est mon second point, de disposer de solides capacités d'alerte, de détection et de suivi des MB. Des capacités de pointe, onéreuses, complexes et donc qui ne sont pas à la portée du premier venu : radars à très longue portée, surveillance de l'espace, constellation de satellites d'alerte aux tirs de MB, etc.). A défaut de ces capacités (qui sont évidemment une priorité pour les puissances nucléaires), il est parfaitement possible de ne "pas voir venir" la frappe, si je puis dire.
Et c'est d'autant plus vrai pour les SLBM (les BM tirés depuis les sous-marins qui, par définition, sont "furtifs" et mobiles, et échappent donc à toute surveillance. Contrairement à une base aérienne ou encore des silos de BM basés à terre).
En troisième lieu, il convient de signaler que les MB modernes sont dotés de têtes nucléaires multiples, à la furtivité travaillée, ainsi que de leurres, complexifiant la tâche à celui qui tenterait une interception, déjà très compliquée, en phase terminale de trajectoire.
Enfin, l'interception, justement, pour toutes ces raisons, et d'autres encore, des MB est un défi technologique. Je vous invite, si le sujet vous intéresse, à jeter un oeil au program Ground Based Interceptor américain qui, malgré les sommes colossales qui y ont été investies, a des résultats disons... mitigés. Ce alors que les Etats-Unis sont probablement le pays le plus en pointe dans les armes anti missiles balistiques, pourtant.
Excellente journée à vous.
Bon article. Merci. B.A. Rouffaer
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